EVENT 2.5 ~ Une journée dans sa peau [TERMINE]

L’enseignant entame un chapitre relativement poussé sur le système respiratoire humain.
S’étant déjà passablement penché sur le sujet qu’il avait étudié seul deux ans auparavant, Kei n’écoute pas avec grand intérêt. À la place, il scrute les adolescents autour de lui et reconnaît un garçon probablement originaire des pays de l’Europe de l’Est qu’il a déjà croisé.
Ce dernier est dans une position censée manifester son ennui.

En neuf jours, Kei a pu réunir de maigres informations sur les « pouvoirs » de certains de ses camarades pourtant, elles restent très incomplètes et, sans doute, pour quelques-unes, erronées.
Son propre dossier est à moitié vide,
[un atout de taille : les Corbeaux n’ont jamais pris conscience de l’existence de son IBM. Il fut pris sur le fait quand il utilisa son cri pour éviter une agression mais la plus puissante de ses deux armes est toujours inconnue du gouvernement.

L’heure de sciences touche à sa fin et Kei hâte le pas pour assister au cours suivant.
Le supposé russe est là aussi.

Tout au long de la matinée, il se dispense de notes car les leçons du Refuge ne sont pour lui que des révisions inutiles.
Kei Nagai est totalement autodidacte et passe le plus clair de son temps à travailler ou à expérimenter ses capacités hors du commun de plus, sa mémoire photographique est telle qu’il pourrait réciter en entier un pavé de 1 000 pages à peine survolé il y a plusieurs années. Ses résultats en sont la preuve.

À midi pile, il se presse, comme tous, de manger.
Son plateau plein à la main, il réfléchit à une place en sondant les environ puis, se remémore avoir aperçu une sorte de terrasse à l’arrière du réfectoire.
Il y parvient seulement après avoir dû traverser la foule agitée et souffle de soulagement.
Mais il n’est pas seul, une petite rousse qui doit bien avoir treize ans est attablée à un plan en bois.

Lassé et n’ayant aucune envie de chercher plus longtemps où s’asseoir, il se pose à côté d’elle en espérant qu’elle le laissera tranquille.

Peut-être avaient-ils l’intention de manger avec elle mais s’étaient ravisés en le voyant.
La petite rousse dont il ignore le nom l’aborde :
- Salut, tu es nouveau? lui demande-t-elle.
- ...
- Pourquoi tu viens ici? Pourquoi tu ne vas pas à la table d´à côté?
Il hausse les sourcils, surpris, puis lui réponds :
- La table la plus proche est à l’intérieur et elle est autrement plus bruyante et pleine que celle-ci. Mais je pourrais te retourner la question. Pourquoi manges-tu dehors?

De l'intérieur du réfectoire, Gwendal voyait le nouveau discuter avec une jeune fille rousse. Alors que les deux amis s'apprêtaient à sortir du self, le russe s'arrêta et fit demi-tour. Il indiqua à Maroyne de ne pas l'attendre et alla se faufiler jusqu'à l'accès à la terrasse. Il fit mine d'attendre quelqu'un et en profita pour écouter la conversation de Kei et de Morgane.

- Je viens des pays du Nord. J'aime bien manger dehors. Y'a jamais personne. On me laisse tranquille. dit-elle.
On me laisse tranquille 
Est-elle en train de lui reprocher sa conversation? Pourtant c’est elle qui l´a lancée.
Il hoche la tête pensivement et le déjeuner se termine en silence. Ces quelques minutes sont accompagnées de la désagréable impression d’être surveillé. Il pourrait utiliser son IBM pour voir de qui il s’agit sans se retourner mais il ne se donne pas cette peine.
Finalement Kei se relève et s´en va sans un mot.
Arrivé à la porte, il ne croise personne : le mystérieux observateur a disparu.

Kei ne répondit pas. Morgane avait terminé son repas et s'était dirigée vers la sortie du réfectoire. Elle alla dans sa chambre pour prendre un carnet et un stylo. Il restait quelques heures avant que les cours reprennent. Elle s'assit dans le jardin et ouvrit son carnet. Elle inscrit au crayon "Nouveau, nom à chercher" comme titre, puis au stylo elle écrit "ne parle pas beaucoup". Dans son carnet, elle écrivant pleins de fiches sur les personnes du Refuge. Pour en savoir plus sur eux. Finalement, Morgane s'endormit.

Les enfants du Refuge ont cet, après-midi, exceptionnellement, plusieurs heures de libres. Parce que à 15h précises, ils devront se réunir dans le grand gymnase avant d’être classés par catégorie pour le PDCS (Programme de Développement des Capacités Spéciales).
En sa qualité de “nouveau” Kei n’y a jamais participé et s’interroge sur ce en quoi le Programme consiste.
Dans sa chambre, il s’occupe à ranger et mettre un peu d’ordre ensuite, il descend à la bibliothèque emprunter des manuels, il ne lit que très rarement des fictions et préfère les livres d’études. Il s’agace de l’abscence de l’ouvrage qu’il recherche et se rend finalement dans le Jardin où il n’avait jamais mis les pieds.
Une légère brise agite ses mèches mais ne le fait pas frissonner car il a eu l’ingéniosité d’enfiler un duffle coat avant de sortir.

Depuis mes visions et mon rendez-vous avec le médecin, je suis restée à l'écart des autres. Alternant détention et tentative de fugue. Je n'ai jamais revu Lyse et je comptai bien la retrouver jusqu'à ce qu'on m'apprenne qu'elle exerçait toujours ici, mais qu'elle n'avait eu aucune occasion de me voir. Je n'y crois pas vraiment, mais qui peut-on croire au refuge ?

Je ne m'alimente presque plus et je dors que rarement. Mes mains me brûlent continuellement et ce n'est pas leur misérable pommade nauséabonde qui y fait quelque chose. A chaque fois que je disparais, on ne s'occupe pas vraiment de savoir qui a s'est réellement évanouit dans la nature. On ne prend en compte que son âge, pour savoir quelle calibre de balles utiliser. Mort ou vif. C'est ce qu'a demandé le directeur.
Je ne sors que pour m'exercer en réalité, pour pouvoir lancer mon feu contre des cibles déjà mortes. Mais on me retrouve toujours, roulée en boule contre le même buisson, le même jour du mois. C'est devenu un rituel que je ne contrôle plus, que même le ridicule entrainement pour développer ses capacités n'y ferait rien.

Aujourd'hui, je suis fatiguée. Encore groggy de toute la morphine que l'on m'a donnée. Les bruits sourds du self me parviennent à peine. Cependant, au coin d'un couloir j'aperçois des adolescents tout juste sortis de détention parler d'un nouveau. Un certain Kei Nagai. Rien qu'à son nom, je me demande quelle tête il doit avoir. Je me l'imagine un peu. Blond, peau pâle, yeux bleu clair et silhouette maigre, origines du Nord. Oui. Maman m'avait dit un jour qu'il vaut mieux imaginer les gens, quitte à se tromper, pour avoir une image claire et nette d'eux avant même de les rencontrer.

Je me dirige vers le gymnase du Refuge pour une convocation sur le programme des capacités spéciales. Je devrai me sentir concernée, avec mes pouvoirs bizarres qui se résument à tout brûler sur place, pourtant, j'y vais que pour ma phase de resocialisation conseillée par mon psychologue. En arrivant, les gradins sont vides. J'ai une heure d'avance. Je fais le tour de l'estrade. Quatre mannequins sont alignés contre le mur, des sacs de sable pendus au-dessus du vide et un empilement de boîtes de conserve trône au milieu. J'enlève mes gants. Et je crame tout sur mon passage. Les mannequins, les sacs et même l'estrade.

Puis je m'enfuie vers le sud. Là-bas, il y a la plage, je pourrai m'y réfugier. Le temps que l'incendie que je viens de provoquer faiblisse et que je puisse rentrer sans qu'on me soupçonne.

Kei passe longtemps dehors à réfléchir et, quand il regagne sa chambre, il ne reste plus que cinq minutes avant sa convocation au gymnase.
Arrivé devant sa porte, il trouve un petit rectangle de papier scotché à la va-vite sur le bois peint.
Dessus, est tapée à l’ordinateur une liste de huit noms rangés par ordre alphabétique dans un tableau Excel.

Son regard se pose d'abord sur Miranda Baylee
Faisant beaucoup parler d’elle, il la visualise assez bien.
Ensuite ses yeux descendent sur Morgane Hiirdei.
Morgane. Morgane. La petite rousse de ce midi.
Il a entendu ses amis l’appeler comme ça, ce doit être elle. De plus elle a dit “être du Nord”, ce nom de famille sonne bien Islandais.
Un centimètre plus bas, le sien, Kei Nagai.
Les quatre autres lui sont inconnus.

Il arrache rapidement la feuille, la plie en deux et la fourre dans sa poche.
14h58.
Kei va devoir courir pour être à l’heure.
Il se précipite dans le couloir, ses longues foulées résonnent sur le parquet grinçant à un rythme régulier.

Les séances du Programme étant normalement individuelles, c’est la première fois depuis Septembre qu’une se fait en groupe.

Un monde fou occupe le grand gymnase, tous les Enfants ou presque sont là.
Il flotte une odeur de brûlé âcre dans l’air et d’étranges marques sans forme définie noircissent une part du sol et des murs, reliques de l’incendie une heure auparavant.

En réfléchissant, il se dit que l’attribution n’a aucun sens, son cri n’a rien de comparable aux capacités de ses coéquipiers et en apparence (dans l’ignorance de son IBM) il est bien moins prodigieux qu’eux.
Peut-être pensent les Adultes qu’il serait possible, à force d’entraînement d’allonger le délai de la paralysie ?
Ils ont tort. Ils n’en connaissent probablement pas le fonctionnement, mais Kei si et il sait pertinemment bien qu’il n’a aucun progrès à faire sur ce point là, à sa grande frustration.

Je suis encore haletante de ma course. Encore une fois, j'ai bravé les interdits. Je me suis montrée comme prétentieuse et égoïste alors que pourtant, il n'y a que quelques années, j'aurai été incapable de provoquer ça. Heureusement que ce que je brûle ce régénère avec le temps. L'odeur de fumée parvient jusqu'à la plage. Je renifle et remonte mes genoux contre ma poitrine. Je suis juste sortie de convalescence que je fais déjà parler de moi. On ne parle de moi que en mal désormais. Comme celle qui crame tout et qui s'est fait internée pendant des mois suite à son rendez-vous avec Lyse. On me voit comme l'horrible dérangée qui a déjà tué. Peut-être inconsciemment. Mais tué quand même.

L'eau vient chatouiller mes pieds nus. Mon pendentif brille aux rayons solaires. Je le prends, faisant attention de ne pas l'abîmer, et je le jette dans la mer. Il revient aussitôt. Je l'ai trouvé dans la cellule de Détention suite à un malaise. Ma tête a eu le malheur de tomber sur le fer forgé de la petite relique. Je respire doucement. Je dois quand même me rendre à l'Entraînement. Les Adultes voient peut-être une utilité pacifique à mon pouvoir. Comme celui de bien d'autres enfants. Ou alors, ils veulent juste faire de nous des machines de guerre. Je m'apprête à me lever quand j'aperçois la rousse. Morgane, je crois. Elle s'assoit à côté de moi et reste silencieuse.

Je ne la considérerai pas comme une amie à part entière. Mais disons que étant donné que ce n'est pas la première fois qu'elle me rejoint ici, je commence à éprouver une petite sympathie pour elle. Je ne connais rien d'elle. Je ne suis même pas sûre de connaître quelque chose de ma propre vie.

-Tu viens ? lui demandé-je, on va être en retard.

Au fond de moi-même, je sais que je n'irai pas avec elle. On me jettera en détention. Parce que je sais très bien qu'il y a des caméras de surveillance dans tous les coins de couloirs.

-Tu viens ? demanda Miranda, on va être en retard.
-Oui, soupira Morgane. 

Morgane se leva et se dirigea vers le refuge, sans regarder si Miranda la suivait, elle savait qu'elle viendrait. Le chemin de la plage au gymnase n'était pas si long mais on s'arrêtait toujours en chemin. Toujours. Mais là maintenant, il fallait courir pour arriver avec le moins de minutes de retard possible. Morgane courut pendant à peu près cinq minutes et rentra dans le gymnase. Il n'avait pas encore commencé, le "professeur" venait juste de les briffer sur la séance d'aujourd'hui. Morgane rentra dans les rangs, et se tint droite. 

- Toi. dit un homme en noir en désignant Kei. Montre nous ce que tu sais faire.

Les Adultes entrent, il y a les médecins, les spécialistes, les formateurs et, bien sûr, les gardes, beaucoup de gardes.
C’est le défilé des blouses blanches, des costumes sombres et des tenues militaires.
Certains tiennent fermement des mallettes argentées, leurs mains si agrippées aux poignets qu’elles effacent le moindre doute sur l’importance du contenu. Tous portent des oreillettes noires dont les câbles rebiquent et doivent être lourdement armés.
“Des armes inoffensives” qui endorment mais, un Enfant sous somnifères ou calmants est sans défense face à eux.
Et on sait parfaitement bien qu’il y a dans un bon nombre de chargeurs des balles réelles.

Bientôt, une voix sévère emplit la salle :
- Veuillez vous reculer et vous placer selon les instructions ...
Des Enfants sont appelés et forment des colonnes propres, maintenant tout le monde s’est tût, à l’affut des prochaines indications.
Kei attend patiemment son tour, ceux qui sont censés former sa section sont en retard, en tout cas Morgane et Miranda, absolument introuvables.

Juste avant que l’homme ne les nomme, les deux filles s’empressent de rejoindre la foule.

L’intégralité des groupes sont formés et la séance commence.
Des Adultes imposants s’approchent du leur.
Un brouhaha se met en marche pendant que les Enfants montrent les progrès qu’ils ont pu faire.

- Toi. dit un homme en noir en désignant Kei. Montre nous ce que tu sais faire.

L’ordre ne laisse pas de place au refus alors, il respire lentement pour tenter de se calmer, il prend une immense inspiration, remplissant ses poumons jusqu’à la lie.
Puis, il expire.

Il force à l’extrême sur ses cordes vocales et crie, crie si fort et si longtemps que sa gorge le brûle et lui donne l’impression d’avoir du papier ponce à la place de l’œsophage.
Plus un litre d’air.

Le son est incroyable, jamais les êtres vivants dans cette pièce n’ont vécu ça et jamais leurs corps n’auraient pensé le vivre un jour mais, ils y sont préparés : cette fonction jusqu’alors inimaginable apparaît comme une vérité absolue, cette réaction est un système de défense aussi vieux que leur espèce.

Tandis que les derniers échos de la voix de Kei s’éteignent, leurs muscles se raidissent instantanément, ils sont comme traversés par la foudre, incapable de bouger.

L’image du gymnase à ce moment là est presque irréelle, digne d’une œuvre d’art.
Kei la contemple avec sagesse et par respect, même si lui le peut, il ne fait pas un pas.

Une partie des gens est complètement terrorisée par ce phénomène, ils ont beau insister, leurs membres ne se meuvent pas à l’appel de leur cerveau, c’est comme ... un blocage.
L’autre partie l’accepte avec résignation.

Mais le temps s’écoulent et les dizaines de secondes sublimes dans ce silence de mort prennent fin.
Chacun reprend ses esprits et sa respiration, le sang circule à nouveau et jamais on n’était plus pressé de s’agiter.

Kei Nagai n’a peut-être pas, sans son IBM, la capacité la plus efficace mais une très impressionnante et que tous les habitants du Refuge ont pu expérimenter.
Le nouveau s’est fait connaître contre son gré.

A l'intérieur du gymnase, les dernières de l'incendie ont été effacées. Morgane est assise sièges plus loin que moi. Je ne devrai pas la traiter comme ça, même si on a jamais vraiment eu de conversation, elle m'a l'air sympathique. Un peu perdue mais sympathique.

Un défilé d'Adultes marche vers la petite estrade et un homme en noir demande à un petit brun de faire une démonstration. Le jeune a l'air de puiser toutes ses forces dans le fond de son corps. Puis, il lâche un horrible cri qui nous paralyse tous. Un instant, j'ai l'impression de vivre au ralenti. Je ne comprends plus ce que je vois ni ce que j'entends. Cette trans s'impose à moi comme une habitude et je me sens presque bien. Le hurlement guttural s'estompe et tout le gymnase est plongé dans le silence total. Le jeune homme, immobile lui aussi, a les yeux dans le vague comme si cette perfection du silence était dû à un respect mutuel de chacun. Comme si chaque être présent dans cette salle avait décidé au fond de lui-même de se taire pour faire durer la chanson muette des pensées.

Un militaire frappe le sol de l'estrade comme pour réclamer le calme. Il est pourtant déjà là.

-Kei, veuillez retourner à votre place. murmure l'homme en noir. Morgane, montre nous ce que tu sais faire.

Personne ne bouge. Ainsi, le jeune homme s'avère être Kei Nagai. Je me suis complètement trompée en ce qui concerne son physique. Brun aux yeux noirs avec un sourire discret au coin des lèvres. Tout le monde manque de réaction à un pouvoir si impressionnant. Morgane n'a toujours pas bougé. Kei non plus. Et les autres enfants sont prostrés sur leur siège. Je fixe la scène. Qui des deux bougera le premier ? Un des garde fait mine de charger son fusil. Ils ont intérêt à se décider très vite.