EVENT 2.5 ~ Une journée dans sa peau [TERMINE]

Morgane et Kei font mine de partir. Je pose mes mains sur le siège en plastique et respire un bon coup. Presque aussitôt, une odeur de brûlé me chatouille les narines. Je suis en train de faire fondre ma place !
Je me lève brusquement et rejoint Morgane et Kei près de l'entrée. Déjà d'horribles flammes orangées lèchent les premières rangées. Tous les autres enfants sont heureusement en sécurité, plus loin dans les gradins. Les militaires braquent leurs armes sur les enfants qui se bousculent pour descendre au plus vite. Certains se jettent sur les marches ou d'autres jouent la carte de la patience, quitte à mourir brûlé vif.

Je me concentre. J'ai déjà fait ça. Je dirige les flammes vers les Adultes sans regarder qui se tient sur l'estrade. L'homme en noir a disparu et les hommes armés forment un barrière protectrice. C'est ce moment là que choisi Gwendal pour hurler :

-Rébellion !

Mon feu se répand sur l'estrade désertée. Tout le petit monde a disparu. Jouent-ils sur mes antécédents psychiatriques pour me déstabiliser ? Je pense que oui. Sinon, ils ne se tiendraient pas devant nous, armes à la main.

-On sort dans le calme et on se regroupe dehors. Morgane, emmène Kei. Miranda et Gwendal, collez-vous contre le mur. ordonne un militaire à la tenue chargée de décorations.

Je sors en courant. Cette fois, ils ne m'auront pas. Chacun de mes pas laissent une traînée de fumée. Je ralentis pour ne pas propager le feu. Au fond, je suis une bonne âme. Quelqu'un m'assomme et je tombe contre le goudron. Le sang coule dans ma bouche et je sombre.

Encore une fois, j'ai échoué. J'en ai marre de me battre. Finalement, Morgane n'est pas d'une grande aide. Peut-être viendra-t-elle me voir à l'hôpital ? Deux coups de feu partent simultanément et je ressens une vive brûlure à la cheville avant de m'évanouir complètement.

Kei profite des derniers instants de la paralysie générale pour se concentrer sur tout autre chose, cessant ainsi de savourer les effets de sa prestation.

Déjà générée, il fait avancer son IBM avec précaution pour ne pas qu'elle frôle quiconque. Elle s'éloigne de l'attroupement en longeant les murs.
Il a repéré, depuis leur arrivée, qu'un garde s'est positionné à l'écart, aux abords du couloir sombre qui mène aux toilettes et aux placards. Ce dernier est en possession d'une des fameuses mallettes.

L'IBM le rejoint en un temps record alors que l'homme est toujours immobilisé par le cri. Kei retient son souffle.
1... 2... 3...
Un coup brutal s'abat sur la nuque du garde, exactement au bon endroit, il s'écroule.
Personne ne s'en aperçoit car ça se produit au moment même où les gens retrouvent la maîtrise de leurs corps.

Le garde est tiré vers l'arrière : vers l’obscurité totale.
L'IBM lui prend son bagage, le tient parallèlement au sol et le sépare en deux, l'objet n'oppose aucune résistance face à cette force monstrueuse.
A l'intérieur, entourés d'une garniture bosselée et dans des enfoncements adaptés à leurs formes, se trouvent plusieurs seringues, des poches de liquide opaque et des munitions simples ou contenant l'étrange produit.
Belle trouvaille !

En dépit de la vitesse notable du déroulement, les aiguilles de l'horloge continuent à marquer l'heure.

Kei a le regard vide, debout mais semblant inanimé.

Le "professeur" lui a déjà demandé de regagner son siège. Aucun signe de vie. Il commence à s'impatienter mais le jeune homme est totalement imperméable à son environnement, focalisé sur sa tache fastidieuse.

L'IBM dépouille l'homme en noir et se munit donc d'une matraque électrique et de deux armes à feu.

Morgane touche Kei pour le réveiller, il sort de son état immédiatement mais reste en contact avec son IBM.

Apparemment la rouquine a eue une vision.

L'IBM s'évade par une sortie de derrière dans le prolongement du corridor.
Les deux enfants marchent maintenant, la connexion faiblit avec le déplacement mais il arrive à la guider jusqu'au plan de terre dissimulé loin où elle enterre en profondeur le chargement précieux puis le recouvre exactement comme à l'initiale.
Mémoire photographique.

L'action est terriblement éprouvante pour Kei, toujours dans le gymnase, fixant le sol pour entretenir la liaison, pris d'affreuses migraines.
Des taches noires apparaissent dans son champ de vision, il essaie de garder l'air naturel au possible.

Ça y est, c'est fait.  
Il relâche tout d'un coup, le lien se brise et l'IBM se désagrège miraculeusement.

Une minute seulement a passé depyuis que le garde s'est évanoui.

Un autre vigile entre, comme s'il n'y en avait pas assez. Il échange quelques mots à voix basse avec les autres Adultes, un air  grave sur le visage, avant de parler dans son talkie-walkie. Son expression qui se propage autour de lui traduit l'urgence de la situation.

Ils sont rapides, pas de réponse à la vérification et ils s'alertent déjà. C'est l'unité d'élite, on doit représenter un grand danger pour qu'ils soient autant sur les gardes. pense Kei.
C'est le tour de Miranda, ses flammes s'étalent sur les chaises. Les Enfants se font évacuer. Mais à peine dehors on les appréhende et des menottes leur sont attachées aux poignets.

Un militaire impressionnant, le buste couvert de médailles, déclare durement :
- Un de nos gardes a été assommé pendant l'exercice, il surveillait la porte arrière donc étaiten retrait, personne n'a vu la scène.
Ses affaires lui ont été dérobées. mercredi ! il hausse le ton  Lequel d'entre vous a fait ça ?


Les prévisions de Morgane se sont réalisées.
Une question la taraude tout de même : elle n'a prévu que Kei lors de l'arrestation alors qu'elle-même et tous les Enfants subissent un sort identique. Pourtant elle sait que le futur de contrarie jamais ces desseins.
Ce qu'elle ignore c'est que s'il était l'élément central c'est parceque qu'il est le coupable

J'ouvre difficilement les yeux. Je suis retournée à l'hôpital, aile psychiatrique. Je suis certaine que tout ça a eu lieu il y a seulement quelques heures, pourtant, la nuit tombe doucement sur le Refuge. Les infirmières sont de moins en moins nombreuses et les dernières se hâtent de quitter cet endroit peu rassurant. Les lits sont presque tous désertés à l'exception de celui en face de moi. L'enfant ronfle légèremment.

J'ouvre la lettre posée sur la petite table de chevet. Mes doigts tremblent sous l'effet de la morphine. Finalement, j'aimerai que Morgane soit là pour me rassurer. Aujourd'hui, c'est mon anniversaire. Et pour me le souhaiter, on m'a tiré une balle dans la cheville et on m'a droguée de médicaments. Personne n'est là pour me raconter ce qui s'est passé.
"Demain, un interrogatoire aura lieu"
Je pense que je n'aurai pas le droit d'y aller. Quitte à ce que je crame encore tout sur mon passage.

Je revois Kei hurler, nous figer, Morgane avoir une vision, moi foutre le feu au gymnase. Ce souvenir s'efface aussitôt. Je ne vois plus que une tâche sombre disparaître peu à peu. Les éléments sont de moins en moins clairs et je commence à succomber à la morphine.

A mon second éveil, l'enfant devant moi a été débranché et sa poitrine ne se soulève plus. Il est mort. Les gens du crématorium vont sûrement l'emporter. Je ne frissonne même pas à l'idée d'être dans la même pièce qu'un défunt. Les infirmières non plus. Elles passent, ajustant mon intra-véneuse, coupant une machine, augmentant cela, changer le bandage de ceci… C'est un balai incessant.

-Quelle l'heure est-il ? je demande d'une voix pâteuse.

Personne ne me répond. Je réitère ma question.

-L'heure de dormir.

Et l'infirmière monte encore la dose de morphine. Elle sourit et me frôle les cheveux avant de me fermer les paupières. Je sombre aussitôt.

Un à un, les Enfants sont amenés à leur chambre. La première chose que fait Kei, arrivé à la sienne, c’est s’effondrer sur son matelas et sombrer dans un profond sommeil.

Il n’emerge que peu de temps avant le dîner et, après mûre réflexion, il décide d’écouter sa faim.
Il apprend ainsi que chacun est cloîtré avec interdiction de sortie en dehors des horaires de repas et de cours qui ont d’ailleurs, été raccourcis.

L’accès à la terrasse est condamné, Kei se voit obliger de rester dans le self.
Il aperçoit Morgane déçue, elle aussi, de ne pas pouvoir s’exiler à l’extérieur.
Un maigre pourcentage d’adolescents essaie, en vain, de faire rire ou juste sourire leurs amis mais, la plupart a une mine sombre.
Ils ont pris conscience de ce que représente cette punition, du contrôle total qu’exercent les Adultes sur eux. Ces Adultes qui ne manqueront pas de tirer sur la laisse.
Il s’agit d’un rappel à l’ordre, le prochain sera très douloureux.

Demain, il y aura un interrogatoire, Kei n’a pas l’intention de se dénoncer ou de délater en mentant.
Il n’a rien vu, rien fait, il était là, visible aux yeux de tous et irréprochable.


Malgré sa sieste de tout à l’heure, il choisit de s’affaler sur son lit et s’endort aussi facilement que la dernière fois.

Morgane sortit du self et rentra dans sa chambre. Elle s'endormit presque aussitôt.

Je n'irai pas à l'interrogatoire, c'est certain. Je me suis éveillé trempée de sueur, en pleine nuit, avant qu'on me bourre de médicaments. Cette vie de zombie m'épuise mais je suis impuissante face aux Adultes.

Ma cheville a été soignée et je suis seulement autorisée à faire quelques pas pour aller aux toilettes. Je m'aide d'une canne. Coupée du monde, je m'oblige à ne pas ressasser les évènements passés. Cet entraînement a été une catastrophe mais au moins, j'ai pu faire une démonstration de mon pouvoir. Dommage que je ne les aie pas tous cramés.

Je ne me maîtrise pas assez pour espérer obtenir un droit de sortie. Même les médecins n'osent pas s'approcher de moi. En fait, que je ne voie les autres Enfants m'aide un peu à me canaliser. Si je voyais une autre personne qui vient d'ailleurs que du milieu médical, elle serait brûlée sur place. Je deviens une arme redoutable que même mon propriétaire n'ose plus utiliser. J'arrache mon cathéter. Une horrible douleur me traverse les veines. Du liquide sombre coule sur ma peau livide.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, je n'essaie pas de me suicider -bien que j'en ai envie-, non, je veux juste avoir les idées claires. Le saignement s'arrête et prend instantanément une couleur brune. Une infirmière, alertée par le sifflement des machines, accourt à mon chevet. Ses cheveux presque inexistants trahissent des cicatrices grandes comme mon doigt. Ses yeux noirs, son corps maigre et ses côtes saillantes donne une impression de sévérité. Pourtant, elle devait être jolie avant.

Evidemment, elle s'empresse de recoudre le point sanguinolant. Je grimace un peu puis elle caresse ma chevelure rougeoyante.

-Miranda, pourquoi tu as fait ça ? me demande-t-elle doucement. Cela aurait pu te tuer.

Je secoue la tête.

-Je voulais pas me faire de mal, seulement arrêter d'être droguée. J'ai quatorze ans je vous rappelle.

Elle baisse les yeux sur ma main touchant son avant-bras. La peau est en train de brunir. Au fond de ses yeux, je vois la souffrance qu'elle n'extravertie pas. Peut-être était-elle courageuse avant. Je retire ma main.

-Merci.

-De rien.

Un silence s'installe. Elle le brise la première.

-Je m'appelle Gretel Neher. Je viens des pays de l'Est. Toi, c'est Miranda Baylee, c'est bien ça ?

-Oui. Pourquoi me demandez-vous ça ? m'enquis-je.

-Je veux éviter que tu te sentes abandonnée. Je n'ai pas vu tes amis.

Au fond d'elle, on voit qu'elle sait pourquoi. Même si je n'ai pas d'amis. Et elle s'en va.

Les lumières aggressives des néons du laboratoire éclairent la pièce. Sur un lit étroit aux draps stériles, il dort.
Son internement remonte à pratiquement un an.

D’abord, il s’était acharné et débattu dans l’unique objectif de fuir. Il avait tué plus d’une dizaine de membres du personnel.
C’était si simple, il faisait pousser un os en profondeur qui traversait chaque organe vital, déchirant les tissus humains et la peau, le sang jaillissait à flots tandis que la mort interrompait le cortège de souffrances de l’hémorragie bien vite.
Ils lui bandaient les yeux et le plaçaient en contention constamment car aucun traitement n’avait d´effet. Une erreur qui améliora la perception issue de ses autres sens. Finalement, Karma resta plongé dans un coma artificiel plusieurs mois. À son réveil forcé, les chercheurs avait mis au point une variante de la morphine : le MEZ17002, une substance extraordinairement puissante, la seule qui affectait son organisme comme les chercheurs le souhaitaient.
Les doses furent, en premier lieu, énormes et il n’était conscient que rarement. Quand ils les diminuèrent, il ne fit plus de tentative d’évasion. Son comportement exemplaire instaura un cercle vertueux.
Aujourd’hui, une décision a été prise. Des étages plus haut, dans le gymnase, se produit la séance spéciale du PDCS.

- Réveillez-le. ordonne quelqu’un d’important.
Ses subordonnés préparent les pinces.
La décharge de plusieurs dizaines de volts vient sortir Karma d’un repos sans songe.
Il est parcouru par des spasmes légers et ses paupières se descellent douloureusement.

Soif.


À l’aide de ses dents aiguisées, il arrache une peau sèche sur sa bouche sanguinolente, bientôt remplacée par une neuve.
Ses lèvres gercées redeviennent merveilleusement lisses

Une femme habillée du blanc des hôpitaux le fait boire avec délicatesse.

- Demain, tu iras les rejoindre. Comporte-toi idéalement, ne nous le fait pas regretter.

Alors qu'il s’apprête à aller en cours, Kei entend son nom craché par les hauts-parleurs environnants. On le prie de se rendre dans une pièce au numéro immémorable.
Elle est insonorisée, immaculée, le sol est en carrelage usé et une vitre teintée se situe en face de la table fixée au sol. On l'attend dans un angle, l’œil attentif.
Une chaise
Il s'y assoit.

- Bien. Commençons. Kei Nagai ...
Son identité est déclinée en long et en large puis l'inspecteur s’arrête :
- C'est ça ?
- Oui.
- Où étais-tu le 20 novembre à 15h37 ?
- Dans le gymnase.
Es-tu responsable, entièrement ou partiellement, de l'agression perpétrée sur Ivan Bubsky à ce moment-là ?
- Non.
- Peux-tu prouver cette affirmation ? Que faisais-tu ?
- Je venais de crier, conformément à la demande d'un Adulte, je n'ai rien fait d'autre.
- Y a-t-il un individu en position d'attester ton alibi ?
- Oui, onze personnes au minimum.
- Lesquelles ?
- Les 7 autres Enfants de ma section ainsi que quatre Adultes.
L'interrogateur ricane.
- Les Enfants ne sont pas considérés comme des sources fiables.
Il lui adresse un sourire humiliant, celui du père qui s'amuse de la bêtise de son fils.

Il finit par épuiser son stock de questions de plus en plus obsolètes.
- Tu peux disposer.

Kei est irrité quand il quitte l'homme mesquin, sans trop savoir pourquoi.

A huit heures, Karma pénètre pour la première fois les locaux attribués aux Enfants, accompagné par un garde.
Il assistera au cours de mathématiques séquence Trigonométrie. Cet événement insignifiant a quelque chose d'exaltant.

Il ouvre un cahier vierge et y inscrit la matière en grandes lettres. Tenir un stylo à nouveau lui fait tout drôle.
Derrière lui, le garde s'adosse au mur.
L'enseignante a l'air mignonne avec ses deux nattes rabattues sur ses oreilles. Lui, ne remarquerait jamais ce genre de chose.

Il essaie de suivre, son niveau est bien supérieur mais la douleur est omniprésente. N'importe quel humain normalement constitué s'évanouirait en une demie-douzaine de secondes s'il subissait ces sévices.

Kei s'excuse de sa courte absence qu'il justifie par l'Interrogatoire.
Interrogatoire ?
Ses camarades ne semblent pas étonnés.

Au fur et à mesure que les exercices s'enchainent, Karma fatigue. Le MEZ17002 influe principalement sur son oreille interne, là c'est tout le côté droit de son corps qui le lancine. Entre ses deux incisives, il brise un crayon.
Le bruit se fait entendre dans toute la classe pourtant personne ne se tourne vers le fond, sa provenance.
Le garde s'approche et lui demande à voix basse :
- Que fais-tu ?
- J'ai mal. geint-il.

Vers 10h, un minuteur bipe et l'homme qui a sa charge s'en va avec Karma. Ils disparaissent dans le couloir.
Par une porte encastrée, irreconnaissable par les non-initiés, ils entrent dans un petit bloc de soins.

Le garde fait s'asseoir Karma en lui tenant les épaules, il est attaché et on lui place un morceau de plastique mou dans la bouche.
Le chirurgien ouvre son poignet, l'entaille profonde accueille un tuyau directement en contact avec la veine. Puis, on retire le tube et désinfecte.
Le crâne de Karma effectue quelques battements saccadés, le front vers le bas. Ses yeux sont clos.


L'ampoule l'aveugle à nouveau, son avant-bras s'est refermé, il n'y a même pas de cicatrice. Le bout de plastique est posé sur un plat en métal, la marque qu'il y a formé l'entame au moins à la moitié.

Ils retournent en maths. Les effets ne tardent pas à se faire sentir, la douleur lui vrille l'estomac. Il est fébrile, ses gestes manquent d'assurance.
La professeure énonce un problème, Karma heurte son bureau du genou, le garde s'avance pour savoir ce qu'il se passe.
- Je vais dégueuler. annonce-t-il.
L'homme paraît embêté.
- Je peux sortir ?
- Tu n'est pas censé ...
- Pourquoi ?
Il demeure impassible.
Karma sait pourquoi, ça reviendrait à rejeter une partie du MEZ17002, l'affaiblir est un choix.

Il le conduit tout de même aux sanitaires, Karma ne vomit que de la bile et une mousse blanche s'épaissit. Il se rince le visage avec l'eau glaciale des robinets.

A son retour, il a retrouvé un peu de force, il marche faiblement.
La femme aux tresses se permet de commenter :
- Il n'est pas en grande forme hein ?
Midi sonne, les élèves s'empressent de quitter les lieux.

Les infirmiers ont tous disparu. Même Gretel. Au fond de mon lit, je me sens seule. On m'a baissé les doses de morphine mais je me sens toujours autant égarée. Les images de l'incendie défilent encore et encore, formant une litanie qui rendrait quiconque l'écouterait fou à lier. Ce que je suis.

Je décide de me lever tant bien que mal pour aller aux toilettes. Je traîne ma gouttière derrière moi. J'aimerai vraiment rejoindre les autre Enfants, sachant que je serai placée en détention pour avoir attaqué les Adultes. Le visage de la rousse me manque un peu, elle semble avoir un peu d'amitié pour moi. Cependant, je ne me fais pas trop d'illusions, il ne faut faire confiance à personne sous aucun prétexte.

Une fois rafraichie, j'attrape une veste laissée sur une patère pour faire un tour dans les jardins. Je n'y suis pas retournée depuis un moment. Pour ne pas dire que la dernière fois que j'y suis allée, j'étais en rendez-vous avec Lyse et Morgane. Enfin, il me semble, tout est brouillon en ce moment. Tirant ma gouttière derrière moi, j'oublie la discrétion et débouche sur un couloir désert. Je vais rarement au-delà du périmètre des dortoirs et du self, je suis donc un peu perdue. Un aide-soignant me bouscule sans faire attention à moi. Le monde tangue un peu. Au fond du couloir se trouve une porte blindée, ayant déjà fait beaucoup hier, je ne prends pas la peine de tenter quelque chose. Finalement, je tombe sur une porte menant au dortoir. Et d'ici, je retrouve mon chemin jusqu'aux jardins.

Quelle déception lorsque que j'aperçois les gouttes de pluie ! J'ai erré dans les couloirs pour un extérieur plus triste que les salles de soins désinfectées. Une touche flamboyante attire mon œil. En avançant un peu -et en remarquant que j'étais pieds nus-, je vois que c'est Morgane. Je ne sais pas si elle pleure mais en tout cas, la pluie est très forte ici. Je serre ma veste trois fois trop grande pour moi sur mes épaules amaigries.

-Tu vas attraper froid. C'est à moi de m'inquiéter de ta santé maintenant. dis-je, la voix rauque.

Prenant sur moi, je me couche auprès d'elle.

Après le départ des adolescents, l'enseignante fait signe à l'homme pour qu'il vienne la voir :
- Dites, qu'est-ce qu'il a cet enfant ? Je veux dire, pourquoi êtes-vous là ? Vous assurez sa protection ?
- Non. J'assure la protection des autres élèves.
- De ... de lui ?
- Oui.
- Mais qu ...
- Vous êtes en possession d'un dossier détaillé sur son cas, vous n'avez qu'à vous renseigner.
Maintenant excusez moi mais je ne peux poursuivre cet entretien.

La femme reste sans voix, le garde a interrompu ses interrogations avec rudesse.
Elle songe qu'elle ira vérifier le contenu de son casier à la pause et, le temps qu'elle réfléchisse, elle est déjà seule.


Karma découvre sa chambre avec une pointe d'émerveillement enfantine.
Le décor est moins morne que celui de la pseudo-cellule du laboratoire qu'il a occupé jusqu'alors.

Et surtout, surtout, il y a une fenêtre.
Il n'a pas vu la lumière du jour depuis plus treize mois ni respiré l'air extérieur.
C'est, de tous ses supplices, le plus inhumain à ses yeux.

Il s'y précipite pour l'ouvrir, dans un élan de joie désespéré.
Pourtant, la poignet ne s'oriente pas sous la pression de ses mains frêles, il insiste mais rien n'y fait, il est impuissant.
Il s'affaisse sur le plancher, abattu.
Il se voyait si précisément passer sa tête par l'encadrement et sentait même le souffle du vent sur ses joues.

L’échec lui reste en travers de la gorge.


La professeur(e) est captivée, progressivement, elle prend connaissance d'informations qu'elle ne croyait pas être autorisée à lire.
Page 22 du copieux rapport, elle marque un arrêt sur un court paragraphe qu'elle aurait aisément pu manquer par une seconde d'inattention, presque inperceptible parmi le pavé qu'est le document.

Individu.s habilité.s à décider de l'élimination du spécimen :

Il n'y a que deux signatures au lieu d'une trentaine habituellement.
Et aucune n'a une ressemblance éventuelle avec celle d'un membre du Refuge.

Elle reconnait le gribouillis fatigué qui représente l'approbation du Gouverneur et la seconde, est absolument inédite, jamais vue.
Le doute s'installe, c'est incompréhensible qu'un si grand écart soit fait alors que les capacités de trois ou quatre Enfants abordent l'utilité de celle-ci.
D'un point de vue militaire certes, son corps est particulièrement résistant et quasiment inaltérable à long terme mais son efficacité au combat ne serait pas supérieure à quelques unes.
Soudain, ça fait tilt.

Guérison.
Rien n'est comparable dans ce domaine au renouvellement des cellules, voilà pourquoi il est si précieux !
Il est un remède, un antidote.


De son côté, Karma décrète qu'il le mérite.
Il est parvenu à sortir du pire endroit habité de son existence.
Le prochain, sera pour quand il s'évadera de ce pxtain de centre.

Malgré sa faiblesse, il plonge son bras en dessous de ses côtes, dans un petit renfoncement.
Il arrache du creux un sachet et, son membre rejaillit de la plaie béante trempé de sang mais victorieux.

A l'intérieur de la poche en plastique transparent, se trouve un biscuit cylindrique, un sablé au goût de la nostalgie, sa mère lui en achetait à l'épicerie pour le récompenser durant sa petite enfance.
Bien sûr, les dernières années, elle ne l'a plus fait, elle n'avait plus rien à récompenser et, de toutes façons, son fils quitta la maison peu de temps après.
Mais Karma en a volé trois, astucieusement cachés en lui, presque oubliés depuis leur acquisition.

Il commence à le croquer tout en se dirigeant vers la minuscule salle d'eau, il se nettoie le torse et jette la chemise rougie à la poubelle.
Pour son arrivée on l'a habillé comme un enfant de cœur, ce devait être ironique.

La luminosité est basse car il n'a pas appuyé sur l'interrupteur, seule la porte entrouverte éclaire chichement le miroir face à lui.
En levant le regard, il s'aperçoit, son reflet décharné le surprend.
Ses côtes saillantes parent son buste avec franchise, sa silhouette est d'une maigreur extrême, choquante.

Il n'apprécie pas ce qu'il voit et se dépêche de se couvrir d'un tee-shirt trouvé dans un tiroir, sans doute une propriété de l'ancien résident de cette chambre, le haut est quinze fois trop grand pour lui mais peu importe tant qu'il cache.


Lorsqu'il quitte le lavabo pour se rendre à la cafétéria, une petite tache de sang subsiste, teintant l'extrémité d'une de ses mèches blanches.