EVENT 2.7 ~ Jeux d’Yeux

— Prêt pour le cours de sport ? Dans cette matière-là aussi t'es invincible ?
Kei releva la tête en entendant la question, délesté du poids du silence qui régnait. Il plongea ses yeux dans ceux couleur de glace face à lui. Il hésita un instant puis dit :

— Heu, pas vraiment... je n'ai pas préparé l'équipement et je viens à peine de me lever.

Sa mine hagarde devait le leur avoir déjà bien fait comprendre. Il n'essaya même pas d'aborder la question de ses compétences dans le domaine sportif.

— Et vous... vous en pensez quoi ? Il prit une gorgée de café avant d'ajouter : Tu aimes courir, non ? Le demi-fond ne doit pas être trop difficile ?

Décidément, il avait du mal à former des phrases intelligibles ce matin. Il espérait que la brume dans lequel se trouvait son esprit se dissiperait vite.

Gwendal expliqua qu’il n’éprouvait pas de difficultés dans les autres domaines non plus. Son camarade le rabroua avec une remarque acerbe et ils s’échangèrent un regard entendu, déterminés à faire leurs preuves au cours de la matinée.

Kei esquissa un sourire embarrassé et croqua dans sa tartine beurrée. Il jeta un œil à la pendule fixée au mur et vit qu’il leur restait moins de cinq minutes.

— Vous êtes au Refuge depuis longtemps, tous les deux ?
Son interrogation interrompit la joute verbale à laquelle il assistait. Ils se redressèrent brusquement et Maroyne prit un air cérémonieux. Ses mots étaient restés en suspens, il attendait que l’un ou l’autre prenne la parole et lut sur leur visage un changement d’atmosphère.

— Mais dis-moi, Kei, j'ai entendu dire que t'étais un véritable génie. Avoir un vingt en sciences, c'est quand même sacrément fort. Qu'est-ce que t'as vendu au Diable pour être aussi fort ?

— Ma sœur.
Face à l'expression ébahie et légèrement inquiète de ses interlocuteurs, Kei ressentit le besoin d'éclaircir ses propos. Il poursuivit :

— Ma sœur... est tombée gravement malade il y a plusieurs années. Elle passe toutes ses journées alitée depuis. Ça a dû écourter notre enfance en quelque sorte. J'ai toujours été attiré par la médecine et, j'imagine que j'ai juste eu plus de temps pour m'y consacrer que les autres.

Il omettait qu'il avait certainement l'apprentissage plus facile que la moyenne, beaucoup plus facile. À la formulation de Maroyne, on aurait dit qu'il lui paraissait impossible que quelqu'un soit simplement doué.

Maroyne se leva brusquement, sans doute pour éviter le sujet. Il ne commenta pas l'annonce de Kei qui venait de déclarer avoir une sœur souffrante, pas une remarque compatissante..., rien.
En même temps, les drames familiaux étaient monnaie courante au Refuge. Kei mit l'absence de réaction Maroyne sur le compte de sa maladresse, ou peut-être même de son indifférence. En vérité, la famille était un sujet bien trop sensible pour le jeune homme.

Il souleva son plateau et s'éloigna d'un bon pas, Gwendal n'eut même pas le temps de se lever pour le suivre après son annonce et ne réalisa la situation que lorsqu'il leur faisait déjà dos. Le japonais et le russe se retrouvèrent alors seuls, face à face.

Kei finit de siroter son café. Parmi les vestiges de son petit-déjeuner, trônait encore une demi-tartine qu'il n'avait pu finir. Peu habitué à manger le matin, il avait manqué d'appétit pour en venir à bout.
Son regard était presque vitreux à cause de la fatigue et il examinait distraitement les rayures et l'usure du plateau, pris par ses réflexions. Finalement, il redressa la tête assez soudainement par un mouvement ample du cou, pour observer son camarade. Il posa ses yeux sur ce même visage pour la énième fois, il reconnaissait tout, il avait même mémorisé la forme exacte de ses traits, le contour de ses lèvres, l'ovale de ses yeux et leur teinte si particulière. Pourtant, chaque fois, il découvrait de nouveaux détails insoupçonnés et s'en éprenait aussitôt.
Gwendal sentit le regard posé sur lui et rougit.